Projet de loi – Rémunération pour Copie privée

Monsieur le Ministre,

Madame la Rapporteure,

Mes Chers Collègues,

Si nous somme réunis pour débattre ce soir de la copie privée, c’est qu’il y a urgence. En effet, comme vous venez de nous le rappeler justement, Madame la Rapporteure, il s’agit pour nous aujourd’hui de mettre en conformité notre droit interne d’une part avec le droit communautaire suite à l’arrêt Padawan rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne le 21 octobre 2010 et d’autre part avec la décision du Conseil d’État qui en découle, le 17 juin dernier, remettant en cause la décision numéro 11 de la Commission de la copie privée.

Pourquoi cette urgence?  Nous devons éviter que, le 22 décembre prochain, il n’y ait plus de base juridique à la perception des 190 millions d’euros annuels de la rémunération pour copie privée. L’enjeu est donc important. Et, c’est en ayant cette préoccupation à l’esprit que notre groupe aborde ce débat. Nous avons entendu les appels à soutenir ce texte au nom du risque encouru, nous répondons toujours présents dans cet hémicycle quand il s’agit de soutenir le financement de la création et nous devons collectivement parer au plus pressé.

En conséquence, nous avons fait le choix de ne pas déposer d’amendements à ce projet de loi, dans l’attente d’un réel débat nécessairement plus global sur la rémunération de la création à l’ère numérique. Car nous considérons et j’y reviendrai, qu’il est urgent de mettre le travail sur l’ouvrage.

Il apparaît nécessaire, à ce stade, de rappeler ce qu’est la copie privée et d’où vient cette rémunération particulière. En 1985, conscient des usages de nos concitoyens qui effectuaient des copies d’oeuvres qu’ils avaient acquises pour leur usage privé, le législateur a pris acte de l’impossibilité technique de contrôler chaque acte de copie réalisé par les consommateurs. Il a, dès lors, décidé d’instituer un système permettant de concilier à la fois la possibilité pour le consommateur de réaliser des copies privées mais aussi la rémunération de l’activité créatrice de l’auteur.

A cette exception au droit d’auteur dite « exception pour copie privée » correspond donc une rémunération pour copie privée affectée aux auteurs. Le dispositif ne constitue ni une taxe ni la compensation d’un préjudice au sens que lui donne le droit civil, mais une modalité particulière d’exploitation et de rémunération du droit d’auteur, à travers un paiement forfaitaire se substituant au paiement à l’acte. Cette rémunération contribue également au dynamisme culturel et au développement de l’activité créatrice en France .
En effet, je tiens à rappeler ici que 25% des montants perçus au titre de cette rémunération, sont dédiés à des actions d’intérêt culturel.

Ainsi l’an dernier, près de 50 millions d’euros en provenance de cette rémunération ont ainsi pu être consacrés à environ 5 000 manifestations culturelles sur l’ensemble du territoire pour soutenir des initiatives mettant en valeur la création et la diffusion des oeuvres. Ainsi, pour donner écho aux porpos de Madame la Rapporteure : le Festival Onze bouge, la Chaise et l’Ecran, les Estivales musicales du 11ème ou le festival Bastille quartier libre.

Il s’agit, vous en conviendrez avec moi , chers collègues, de ce que nous pouvons appeler un système vertueux. Je rappelle avec force, à l’occasion de ce débat, l’intérêt de la loi Lang de 1985, d’ailleurs votée à l’unanimité du Parlement, cette loi intelligente par excellence car ayant su, à l’époque, prendre en compte l’usage fait par nos concitoyens des modes de reproduction des œuvres pour accéder à la culture. Elle reposait sur la compensation d’un manque à gagner par l’ouverture d’un droit à rémunération « juste et équitable » et ne cherchait pas à modifier ou à empêcher l’usage des modes de reproduction offerts. C’est toute  la différence avec la loi dite HADOPI, qui, en mettant en place un dispositif répressif, avait la folle ambition de dicter leurs comportements aux consommateurs.

La loi de 1985 constitue donc une dérogation au droit d’auteur, droit patrimonial mais aussi moral puisqu’il permet à son titulaire d’autoriser ou de refuser la diffusion de ses œuvres. Elle déroge également au principe du paiement à l’acte en permettant un versement forfaitaire, comparable à la licence légale pratiquée en radiodiffusion – tout le contraire, là encore, de la philosophie de la loi HADOPI, qui entend maintenir le paiement à l’acte là où une rémunération forfaitaire serait davantage adaptée aux usages numériques d’aujourd’hui.

Il ne s’agit pas pour autant de revenir ce soir sur ce système. Il nous faut seulement assurer la survie ( pour combien de temps, nul ne le sait…) d’un dispositif essentiel pour la diffusion du spectacle vivant, pour l’aide à la création et pour la formation des artistes, trois domaines financés par les 25 % de ressources de la rémunération pour copie privée.  C’est, en grande partie, la raison pour laquelle nous voterons ce projet de loi. Et nous le faisons en dépit de ceux qui aimeraient récupérer ces 25% pour financer un éventuel Centre national de la musique. A ce propos, c’est la musique du « Titanic » qu’il faut a priori interpréter après le sort que la Commission des finances, à l’initiative de son rapporteur général vient de réserver aujourd’hui aux 2,5 millions d’euros prévus par le PLFR pour 2011 pour financer la mission de préfiguration du CNM et réduits à peau de chagrin, soit 500 000 euros.

Nous sommes en effet inquiets , mes chers Collègues, des diverses propositions qui circulent sans n’être ni confirmées, ni infirmées sur les modalités du financement de la culture dans notre pays. Déshabiller Pierre pour habiller Paul n’est jamais de bonne politique en ce domaine et les annonces précipitées lancées par l’Exécutif, avec les arrière-pensées électorales que l’on devine, sont, en règle générale, de bien mauvaises pistes de travail.

Le système doit évoluer, nous sommes un certain nombre dans cet hémicycle à le souhaiter. Car, si personne ne conteste désormais le principe d’une rémunération de la copie privée,  le fonctionnement du dispositif tel que nous le connaissons depuis plus de vingt-cinq ans est , lui, régulièrement mis en cause . J’en veux pour preuve le fait que les cinq dernières décisions adoptées par la commission de la copie privée ont fait l’objet de recours devant la juridiction administrative. La tâche à venir est donc lourde pour le législateur, mais tout autant passionnante, et ce au moment même où le commission européen au Marché intérieur, Michel Barnier, vient de nommer un médiateur chargé de relancer, début 2012, le dialogue en vue d’une éventuelle réforme de la rémunération pour copie privée au niveau communautaire..

Dans cette attente, nous veillons aujourd’hui à préserver, pour un temps donné, une part des modalités de cette rémunération tout en nous mettant en conformité avec les décisions de différentes juridictions. Ce projet de loi, dans le respect de l’autorité de la chose jugée, aboutit ainsi à une exemption des supports acquis pour des usages professionnels tout en permettant de maintenir les barèmes provisoires fixés par la commission de la copie privée, dans l’attente des études d’usages appropriées.

Le texte issu de la commission est, à cet égard, un bon équilibre. Il comprend désormais une disposition visant à ce que la Commission des affaires culturelles et de l’éducation soit destinataire du rapport rendu par les sociétés de perception et de répartition des droits d’auteurs et voisins (SPDR) sur l’utilisation faite des sommes consacrées à l’aide à la création. C’est une bonne chose dans la mesure où cette transmission permettra, dans la transparence, de lever les éventuelles interrogations qui ont pu naître ici ou là.

Ce texte poursuit aussi un objectif d’information du consommateur en assurant un travail de communication sur chaque support acheté.

Enfin, le passage d’un délai de 24 mois supplémentaires initialement prévu par le projet de loi à un délai de 12 mois répond à la fois à la nécessité de prendre le temps de réaliser la douzaine d’études d’usages nécessaires avant la fixation de barèmes définitifs, consensuels et incontestables,  mais aussi au souhait du législateur de ne pas faire inutilement traîner les choses.

Globalement ce texte sécurise juridiquement le dispositif et, de fait, protège le financement de la création artistique.

Il reste, Monsieur le Ministre, que nous ne pouvons une nouvelle fois que regretter que le vrai débat ne soit jamais posé. Les lois de retardement et de colmatage des brèches ne peuvent cacher la réalité :  nous devons nous doter d’un système de rémunération du droit d’auteur qui soit adapté à la réalité des usages à l’ère numérique.

Or, vous vous obstinez à proposer des lois aussi inutiles qu’inefficaces et qui, surtout, ne rapportent pas un euro de plus à la création.

A cet égard, à l’occasion de la réunion à Avignon des Ministres de la Culture de pays du G8 et du G20 et d’organisations internationales, consacrée au droits d’auteur et à la propriété intellectuelle sur Internet, le Président de la République a, une nouvelle fois, manqué l’occasion de faire un grand discours sur la culture et le numérique.

Inlassablement, le Président de la République préfère nous replonger dans le passé, en tentant de maintenir l’illusion que la Hadopi pourrait avoir une quelconque utilité. A tel point que la Corée du Sud réfléchirait à nous suivre dans cette voie. Quel succès !

Le nouveau cheval de bataille du gouvernement serait donc désormais le streaming. Rappelons que dès la discussion du projet de loi dit « Hadopi 1 », les députés socialistes avaient longuement expliqué au Gouvernement que se focaliser sur le P2P sans voir le développement du streaming était ridicule. Le Président de la République a annoncé un Hadopi 3. Vous dites, Monsieur le Ministre que ce ne sera pas le cas. Eric Besson réfléchirait de son côté à des solutions…on ne sait plus quoi penser !

Il est plus que temps qu’une nouvelle majorité apporte enfin de nouvelles solutions. Comme nous avons su le faire en 1985 et avec le même esprit de recherche d’un nécessaire consensus, en associant tous les acteurs du secteur concerné, il s’agit de prendre à bras le corps l’immense chantier de la rémunération de la création à l’ère numérique. Ne peut-on rêver d’une perspective plus exaltante?