Proposition de résolution aux fins d’améliorer le processus de recrutement à la tête des grandes institutions culturelles

Patrick Bloche est à initiative d’une proposition de résolution qui a été déposée par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale. Elle vise à améliorer le processus de recrutement à la tête des grandes institutions culturelles.

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

 

 

Mesdames, Messieurs,

 

De nombreux emplois de l’Ėtat sont pourvus soit par décret en conseil des ministres, soit par décret simple du Président de la République, soit encore, en vertu d’une délégation, par un acte du Premier ministre ou d’un ministre. Ces emplois sont donc le plus souvent, dans une large mesure, à la discrétion de l’exécutif. Ceci se vérifie tout particulièrement dans le domaine culturel, qu’il s’agisse des grandes bibliothèques, des musées constitués sous forme d’établissements publics, des grands centres nationaux ou encore des théâtres nationaux, pour ne citer que quelques exemples.

 

Dans ces grands organismes culturels relevant de l’Ėtat, le processus de nomination, même s’il connaît des variantes, consiste généralement en une désignation du président de l’institution par décret du Président de la République sur proposition du ministre chargé de la culture et, le cas échéant, d’une nomination du directeur général par le ministre lui-même.

 

Les nominations auxquelles il est ainsi procédé donnent régulièrement lieu à controverse. La personnalité désignée, n’ayant pas été mise à même de faire connaître sa vision pour l’organisme concerné, voit son autorité affaiblie alors même que sa compétence n’est pas mise en cause. On en reste donc à des logiques de personnes plus que de projets. De surcroît, ces désignations et les contestations qui les suivent constituent un ferment de division au sein des établissements culturels eux-mêmes.

 

Par ailleurs, les désignations effectuées jusqu’à ce jour font apparaître une assez faible diversité sur le plan de la formation et des parcours professionnels antérieurs comme sur celui des origines sociales et culturelles ou de la représentation des femmes. Cet état de fait traduit une forme d’inégalité dans l’accès aux postes à responsabilité dans le secteur public de la culture.

 

Ceci est tout particulièrement manifeste dans la répartition des postes de direction entre hommes et femmes. En effet, si l’on se réfère aux chiffres relatifs à l’année 2012, pas moins de 81,5 % des postes dirigeants de l’administration culturelle se trouveraient occupés par des hommes. Il en irait de même pour 75 % des postes de direction des théâtres nationaux, 96 % de ceux des opéras, 70 % de ceux des centres chorégraphiques nationaux, 85 % de ceux des centres dramatiques nationaux et 95 % de ceux des concerts. Cette situation est contraire aux principes d’égalité et de non-discrimination qui sont au fondement de notre ordre juridique, et source d’appauvrissement en termes de créativité et d’innovation dans le champ culturel.

 

Une prise de conscience de ce problème est aujourd’hui nécessaire. La représentation nationale doit y contribuer. Tel est le sens de la présente proposition de résolution que nous vous demandons d’adopter.

 

Diversifier le recrutement aux postes de responsabilité dans la culture devrait donc devenir une priorité. Une telle réorientation, en élargissant le spectre des talents, des origines et des expériences à la tête des grandes institutions culturelles de notre pays, contribuerait à accroître le pluralisme, notamment dans l’expression des grands courants socio-culturels, pluralisme dont on peut rappeler qu’il constitue un objectif de valeur constitutionnelle (décision du Conseil constitutionnel n° 82-141 DC du 27 juillet 1982) et figure à l’article 4 de la Constitution de 1958.

 

Cette diversification pourrait passer par la mise en place de commissions de sélection appelées à émettre un avis préalable à la désignation des principaux responsables. Cet avis, conformément aux règles constitutionnelles qui réservent en la matière la compétence au pouvoir exécutif, ne lierait pas l’autorité de nomination, mais serait susceptible de l’éclairer dans son choix. Dans ce cadre, la commission compétente pourrait inviter chaque candidat à lui exposer la politique qu’il envisagerait de mener à la tête de l’institution en cause. Ainsi, les logiques de projets pourraient se substituer aux logiques de personnes.

 

 

 

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

 

Article unique

 

 

L’Assemblée nationale,

 

Vu l’article 34-1 de la Constitution ;

 

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale ;

 

Vu l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 aux termes duquel « la loi (…) doit être la même pour tous » et « tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents » ;

 

Vu l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 posant le principe que « nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances » ;

 

Vu l’article 1er de la Constitution selon lequel « la France (…) assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion » et « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales » ;

 

Vu son article 4 qui dispose que « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation » ;

 

Vu la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, et notamment son article 7 selon lequel « tous sont égaux devant la loi » et son article 21, paragraphe 2, qui stipule que « toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays » ;

 

Vu l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 qui dispose que « toutes les personnes sont égales devant la loi » ;

 

Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, et spécialement son article 20 selon lequel « toutes les personnes sont égales en droit », son article 22 aux termes duquel « l’Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique » et son article 23, paragraphe 1, énonçant que « l’égalité entre les hommes et les femmes doit être assurée dans tous les domaines, y compris en matière d’emploi, de travail et de rémunération » ;

 

Vu l’article 13 de la Constitution, et notamment son alinéa 1er qui dispose que « le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en conseil des ministres », son alinéa 2 selon lequel celui-ci « nomme aux emplois civils et militaires de l’Ėtat », son alinéa 3 fixant une liste d’emplois auxquels il est pourvu en conseil des ministres et son alinéa 4 énonçant qu’« une loi organique détermine les autres emplois auxquels il est pourvu en conseil des ministres ainsi que les conditions dans lesquelles le pouvoir de nomination du Président de la République peut être par lui délégué pour être exercé en son nom » ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l’Ėtat, et spécialement son article 1er selon lequel « il est pourvu en conseil des ministres (…) aux emplois de direction dans les établissements publics, les entreprises publiques et les sociétés nationales quand leur importance justifie inscription sur une liste dressée par décret en conseil des ministres », son article 3 aux termes duquel « l’exercice du pouvoir de nomination aux emplois civils et militaires de l’Ėtat (…) peut être délégué au Premier ministre par décret du Président de la République » et son article 4 qui dispose qu’en vertu de « dispositions particulières, législatives ou réglementaires, (…) le pouvoir de nomination est confié, notamment par mesure de simplification ou de déconcentration administratives, aux ministres ou aux autorités subordonnées » ;

 

Vu le code du patrimoine ;

 

Vu le code du cinéma et de l’image animée ;

 

Considérant que les nominations à la tête des grandes institutions culturelles, et notamment des établissements publics intervenant dans le domaine de la culture, ne reflètent aujourd’hui qu’imparfaitement la société française dans ses diverses composantes ;

 

Considérant que la mise en œuvre d’une politique tendant à promouvoir l’égalité, la diversité et la parité apparaît d’autant plus indispensable dans le champ de la culture que celle-ci se doit d’être emblématique des valeurs et des principes qui fondent notre vivre-ensemble ;

 

Considérant qu’il serait bénéfique que les personnes intéressées par l’exercice d’une fonction de direction à la tête d’une grande institution culturelle puissent présenter le projet de gestion et de développement qu’elles envisagent pour l’organisme en cause ;

 

  1. Réaffirme le caractère fondamental du principe d’égalité et la nécessité d’assurer la diversité et la parité entre les femmes et les hommes dans tous les champs de l’action publique ;

 

  1. Estime qu’il est aujourd’hui particulièrement nécessaire de mieux garantir cette diversité et cette parité dans le processus de désignation des dirigeants des grandes institutions culturelles ;

 

  1. Fait valoir que la possibilité offerte aux candidats à ces postes de présenter leur projet et d’exposer leurs idées concernant l’avenir de l’organisme en cause constituerait un facteur d’émulation et contribuerait à asseoir la légitimité de la personne finalement désignée ;

 

  1. Souhaite qu’une réflexion soit engagée en vue d’instaurer des procédures de consultation préalable à la désignation de ces dirigeants, notamment par la mise en place de commissions pluralistes chargées d’auditionner les postulants, d’étudier leur projet pour l’institution concernée et de sélectionner au vu de ces projets les meilleurs candidats.