Présentation du rapport d’information sur les dix ans de la convention UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles

Nous examinons ce matin le rapport d’information sur les dix ans de la convention de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) relative à la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles dont vous m’avez confié la rédaction en avril dernier. Ce rapport permettra à notre Commission de mettre en valeur un instrument juridique international essentiel, bien qu’insuffisamment connu, pour le droit des États à construire des politiques culturelles propres et pour la préservation de la diversité culturelle dans le monde. Cela devrait également nous permettre de débattre de la question fort actuelle de l’avenir de la diversité culturelle dans notre monde numérique globalisé – question dont la dimension européenne est très prégnante.

L’engagement de l’UNESCO pour la promotion de la diversité culturelle s’inscrit dans son mandat institutionnel au sein du système des Nations unies, puisque l’une des missions de cette organisation est d’« assurer la préservation et la promotion de la féconde diversité des cultures ». Dans les années 1990, l’accélération du processus de mondialisation a fait émerger de nouveaux enjeux pour la diversité culturelle, auxquels la communauté internationale s’est efforcée de répondre en évoluant d’une position strictement défensive vers une démarche plus ouverte et coopérative.

La notion d’exception culturelle a ainsi fait son apparition à l’époque de l’Uruguay Round et de l’échec, à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de la négociation sur l’accord multilatéral sur les investissements (AMI). La marchandisation de la culture, l’appauvrissement des contenus et le creusement des inégalités Nord-Sud ont alors été identifiés comme autant de risques dont il fallait se prémunir. Le concept d’exception culturelle était donc avant tout défensif face à l’hégémonie des marchés.

L’adoption par l’UNESCO, en novembre 2001, de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle, marque une première évolution dans cette conception. La France, soutenue par le Québec et l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), a beaucoup œuvré pour obtenir l’adoption de ce premier texte, certes non normatif, mais qui consacre la diversité culturelle – terme inventé par nos amis québécois – comme un élément du patrimoine commun de l’humanité. Abandonnant une démarche strictement défensive, cette déclaration invite les États membres de l’UNESCO à engager une réflexion sur les instruments juridiques à mettre en œuvre pour assurer la promotion de la diversité culturelle.

C’est ainsi qu’a été élaborée, sous l’impulsion de la France et des pays francophones, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Adoptée le 20 octobre 2005 à la quasi-unanimité des États membres de l’UNESCO – seuls les États-Unis et Israël ont voté contre – et entrée en vigueur en France le 18 mars 2007, cette convention est le premier instrument juridique international à consacrer la double nature, à la fois économique et culturelle, des biens et services culturels. Partant de ce constat, la Convention énonce trois grands principes : la liberté pour chaque État souverain d’adopter des politiques publiques nationales en faveur de la culture ; la nécessité de mener des politiques de coopération et de solidarité internationales en matière culturelle avec les pays en développement ; enfin, une articulation avec l’ordre juridique international affirmant la légitimité de la diversité culturelle face au droit du commerce.

Pour soutenir l’application de ces principes et appuyer les projets favorisant l’émergence d’un secteur culturel dynamique dans les pays en développement, la Convention a créé un Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC). Opérationnel depuis 2010, ce fonds a récolté au total environ 4,6 millions d’euros sous forme de contributions volontaires des États parties.

À ce jour, 138 États, sur les 195 membres de l’UNESCO, ont ratifié la Convention. Parmi les États non signataires, figurent notamment les États-Unis, la Russie, le Japon, Israël et la Turquie. L’Union européenne y a quant à elle adhéré dès décembre 2006, ce qui est très important puisque la Convention fait en conséquence partie de l’ordre juridique européen et que l’Union peut l’invoquer dans ses négociations commerciales internationales.

La Convention dispose d’un autre atout : sa neutralité technologique. Son champ d’application n’étant jamais déterminé en référence à des supports mais uniquement en fonction des contenus des œuvres créées, produites ou diffusées, elle s’applique de fait aux produits et services culturels numériques. Dans le contexte actuel, c’est là un élément essentiel pour la légitimité et l’efficacité du texte.

Comme je l’ai évoqué précédemment, la France a été particulièrement active dans l’adoption de la Convention et, depuis 2007, dans sa mise en application. Elle est notamment l’un des premiers donateurs du FIDC, avec 1,2 million d’euros versés depuis la création du Fonds. Il est donc essentiel de réaffirmer la priorité que notre pays accorde à ces questions à l’occasion de la célébration des dix ans de la Convention.

Le Québec, la Belgique et l’OIF sont d’ores et déjà mobilisés pour cet anniversaire mais, du côté français, si plusieurs colloques et rencontres ont été programmés, aucun événement majeur n’est prévu pour célébrer les dix ans de la Convention. Il me paraît donc nécessaire que la prochaine Conférence générale de l’UNESCO, au début du mois de novembre, permette à la France de témoigner solennellement, à l’occasion du dixième anniversaire de la Convention et des soixante-dix ans de l’UNESCO, de l’importance que revêtent pour notre pays les questions de diversité culturelle.

Mon rapport détaille dans une deuxième partie l’impact de la Convention de l’UNESCO de 2005 sur les politiques culturelles et la promotion de la diversité culturelle dans le monde, ainsi que sa contribution au développement durable des pays du Sud.

Si un bilan général est aujourd’hui complexe à réaliser en raison du manque de données globales, les synthèses annuelles établies par le secrétariat de l’UNESCO permettent de mettre en valeur les bonnes pratiques des différents États parties et d’identifier les difficultés d’application de la Convention. Concernant les politiques nationales, il semble que les États aient privilégié l’action en faveur de la création artistique à travers la mise en place d’un environnement favorable à la création, comprenant des aides ciblées à destination de certains artistes ou secteurs créatifs, mais aussi de législations favorables au statut de l’artiste, aux droits d’auteur et aux industries culturelles. En matière de coopération internationale, les programmes bilatéraux Nord-Sud constituent un outil majeur mais l’on peut relever, parallèlement à l’action publique, une implication croissante des acteurs de la création à travers des réseaux internationaux d’artistes et de professionnels de la culture.

Les difficultés rencontrées pour la mise en œuvre de la Convention sont essentiellement structurelles. L’insuffisance de financement est mentionnée par la quasi-totalité des États parties – les dotations apportées par le FIDC étant très limitées en raison du caractère volontaire des contributions –, mais le manque de connaissance, de la part des autorités publiques comme de la société civile, des questions entourant la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, est également considéré comme criant.

Enfin, la dernière partie de mon rapport est consacrée à la question plus spécifique de la diversité des expressions culturelles à l’ère numérique.

Pour la démocratisation de l’accès à la culture et l’émergence de nouveaux champs créatifs, les technologiques numériques représentent des chances remarquables, mais elles sont également lourdes de défis, telles la fragilisation des créateurs locaux face aux cultures dominantes et l’uniformisation potentielle d’une culture mondialisée. Une réflexion sur cet enjeu doit donc être menée au sein de l’UNESCO, et la Convention de 2005, avec ses 139 signataires, est l’outil le mieux à même de soutenir cette mobilisation. Comme je l’ai dit, les mutations technologiques ne remettent en cause ni les principes fondateurs, ni les applications concrètes de la Convention ; elles offrent au contraire l’occasion de confirmer son utilité et l’opportunité d’enrichir son contenu par l’utilisation de nouveaux outils, pour peu que ses dispositions soient utilisées à bon escient et que ses modalités d’application soient ajustées au nouvel environnement numérique.

Depuis deux ans maintenant, la France s’est attachée à sensibiliser les États parties à la Convention, avec un certain nombre de partenaires historiques – comme le Canada, notamment la représentation québécoise, et la Belgique – sur les enjeux liés à l’application de la Convention dans l’environnement numérique. Ces efforts ont fini par porter leurs fruits puisque la cinquième Conférence des parties, qui s’est tenue du 10 au 12 juin 2015, a finalement adopté la proposition, portée par la France et ses partenaires québécois, de préparer un projet de « directives opérationnelles transversales » consacré à l’impact du numérique sur la diversité des expressions culturelles. Ces directives consistent en des circulaires destinées à préciser les dispositions d’une convention et à orienter sa mise en œuvre.

Il s’agira en particulier de réaffirmer la neutralité technologique de la Convention – en rappelant que les biens et services culturels ont une valeur intrinsèque, indépendante des modalités techniques de leur production et de leur diffusion – et de rappeler que les États ont la capacité d’accompagner les écosystèmes numériques par des politiques publiques afin d’encourager la diversité de l’offre artistique et culturelle ainsi que d’en renforcer l’accessibilité. Les défis liés à la rémunération équitable des artistes et créateurs à l’ère numérique, y compris par le droit d’auteur, devront également faire l’objet d’un traitement spécifique.

Il convient donc désormais de travailler sur cette base afin de donner une nouvelle visibilité à la Convention de 2005 et de renforcer sa légitimité sur les questions numériques, tant au niveau des États souverains qu’au sein de l’Union européenne et des négociations internationales. J’ai notamment à l’esprit le futur Traité transatlantique entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique. Nous nous sommes en effet mobilisés il y a moins de deux ans afin que la culture audiovisuelle soit exclue du mandat de négociation de la Commission européenne.

Comme l’a souligné la ministre de la Culture et de la communication dans un communiqué de presse saluant la décision de la Conférence des parties, nous avons là l’occasion de « faire du numérique une chance pour tous, pays développés et pays en développement », et de « définir nos objectifs et nos outils pour la diversité culturelle dans le siècle connecté qui est le nôtre ». Saisissons-nous de cette occasion et travaillons, tous ensemble, pays du Nord et du Sud, à faire du monde numérique qui est désormais le nôtre un espace où chacun, de façon libre et éclairée, puisse plus aisément aller à la rencontre de la culture de l’autre !